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Comme une image
Les cours sont finis. Bien finis. Ca y est, Terminus, tout le monde descend. Il ne reste plus que les partiels, à présent, et après, tout le monde s'éclate aux quatre coins de la France et du monde durant trois mois.

Et moi, je me perds dans les promesses des non-dits, dans les espoirs des regards.

Je frôle la faille quelque part. Je papillonne au bord du précipice, comme me l'a dit avant-hier Pierre. Deux mains sont tendues pour me rattrapper : il faut juste que je sache laquelle prendre. Et encore, l'une de ces deux mains, n'est-elle pas là juste... parce qu'elle est là? Sans vouloir réellement me retenir?

Je commence à me fissurer. De toutes parts. Lentement, mais sûrement. Hugo sent. Il sent quelque chose. Je suis absente de mon corps lorsque nos étreintes se prolongent, mes yeux ne lui semblent plus répondre à ses doux appels muets. Ma voix s'éteint parfois, lors d'une conversation, je ne suis plus le fil ; tous ces mots me semblent dérisoires. Par rapport à quoi? Je ne sais pas, je ne sais même pas moi-même.
Il se fait plus attentif qu'à l'ordinaire, me demande souvent "ce qu'il y a". "Viva, tu as l'air ailleurs." Il me regarde, un air inquiet traverse ses traits. Puis, comme s'il réfrénait ses angoisses internes, comme s'il les trouvait absurdes, il se met à sourire, riant à moitié, comme pour se donner du courage. Il me carresse la joue, me regarde toujours, et ajoute, pour chasser les voiles qui couvrent mes yeux et ses pensées : "Oh-oh, Viva, sur quelle planète es-tu? Ma petite Martienne, redescends avec moi sur Terre... Il dit à nouveau, après une toute petite pause : Ne m'abandonne pas, hein?" Dans ces derniers mots percent une pointe d'inquiétude, qui surnage malgré tout.

Non, Hugo, je ne t'abandonne pas. J'en suis incapable.
Et poutant, quelque chose en moi le voudrait.
Pour arrêter.
Arrêter le mensonge.
Arrêter l'entre-deux.

J'en suis venue à lui cacher une sortie avec Eloi, un ciné que nous nous sommes organisé tous les deux, comme nous l'avons fait de nombreuses fois. Quelque chose m'a poussé à mentir, comme si le fait de le voir était une faute envers Hugo. Je commence à le ressentir comme cela. Comme si je le trompais. C'est terrible de penser ça ; je mens avant d'avoir quelque chose de... 'concret' à cacher. J'ai si peur d'entrer dans une spirale de mensonges, de cache-cache, plus que je n'y suis à présent.

Et maintenant, je lutte pour rester naturelle. Aux côtés de l'un comme de l'autre.


Oh, vendredi, vendredi soir, j'aurais voulu rester toujours à ses côtés.
Dans ce musée. Ce minuscule musée du Marais, avec quelques toiles. Lumière douce, tamisée. Le sous-sol comme une petite cave, quelques dessins au fusain encadrés, accrochés aux murs.

Il voulait m'emmener là. Pour me faire partager un bout de son univers. C’était ‘notre journée’, qu’on avait programmée depuis plus d’un mois. Au programme : Départ depuis le Jardin des Plantes, son jardin favori ; détour par mon café-fétiche ; promenade sur le Pont des Arts ; déjeuner là où ça nous tente ; et l’après-midi, on se laisse porter par nos pas dans les jolis quartiers, vers le Sacré-Cœur ou Saint-Germain. Et puis en fin de journée, chacun fait découvrir à l’autre un petit musée qu’il aime bien.
Une journée qu’on attendait tous les deux avec impatience, juste pour savoir un peu à quoi ressemble l’autre, un peu plus, dans une complicité légère et réciproque.
Sauf que ça a été dur. Formidable, mais dur.
Une journée incroyable, pleine de fous rires, de lieux saugrenus, de cafés délicieux, une cigarette par-dessus la Seine et sa main qui effleure les cordes de son saz avec l’eau en dessous de nous.
Il était si beau. Si simple. Evidence. J’ai lutté. Vraiment.

Et là, dans galerie d’art comme venue d’ailleurs, tout juste visible au fond d’une cour, derrière une porte cochère, pour descendre l'escalier raide, Eloi me tend la main. Mes doigts touchent à peine les siens, que j'ai l'impression d'être emplie d'une décharge électrique.
Je souris, et descends légèrement les dernières marches.

La pénombre de cette salle, douce et intime. Nous sommes tous les deux, et voilà. Il me murmure : « J’aime profondément venir ici. Regarde ces photos. Tu ne trouves pas qu’elles expriment des choses folles ? Il y a une force et une beauté qui émane d’elles, regarde. »
Je fais errer mes yeux sur chacune de ces photographies en noir et blanc. Oui, c’est vrai qu’il y a quelque chose de puissant qui vient jusqu’à moi, par le simple biais de ces tirages encadrés. Le photographe a réussi quelque chose de magnifique ; il a photographié d’une main de maître de simples scènes de la vie. Avec une petite phrase en dessous.

Sur celle-ci, une vieille dame assise sur un banc, prise de dos : on voit qu’elle regarde des enfants jouer, un peu plus loin. Ce qui n’apparaît pas tout de suite, mais que l’on aperçoit au bout d’un certain moment, c’est le petit endroit brillant, sur sa joue. En fait, cette vieille dame sourit. Et elle pleure aussi.
Et juste sous la photo, il y a écrit : ‘Souvenir-futur’. Ce simple assemblage de deux mots presque antagonistes, joignant passé et avenir, réminiscence et action présente, m’émeut. L’artiste a visé juste. Il a vu.

Et là, là, juste là, cette photo, à côté, attire mon regard.
Elle me transperce par sa justesse.

Deux jeunes gens, assis à une terrasse de café. Une jeune fille, un jeune homme.
Elle, à gauche, un peu penchée en avant sur sa chaise, le regarde. Ses yeux sont posés sur lui, la bouche légèrement entrouverte, comme si elle s’était arrêtée un instant de respirer.
Lui, à droite, les yeux baissés, cherchant quelque chose dans son sac, sur ses genoux. Il a l’air posé. Il ne la voit pas. Il cherche dans son sac. Peut-être pense-t-il à autre chose. A elle, par exemple. Peut-être pas.

Et simplement, pour mieux dire encore cet instant figé dans le temps, ce petit mot : ‘Aveu à venir. Aveu-nir.’.

J’ai une boule dans la gorge. Qui monte, doucement.
Cette photographie est si belle. Si vraie. Si… moi.
Cette fille, c’est moi. Penchée en avant, vers lui, lui, lui, qu’elle dévore des yeux, les mots qui lui débordent du cœur, mais n’osent franchir ses lèvres. L’aveu à venir. L’aveu qui dira l’avenir. Alors, justement, le temps si fige, la seconde qui précède cet aveu. Et c’est ça le plus beau. Elle ne sait pas encore ce qu’elle va dire, lui ne sait pas encore qu’elle va parler. Elle le regarde et a peur, lui ne le voit pas, ne la voit pas, et pourtant, il est à côté d’elle, il a conscience de sa présence, il est venu jusqu’ici avec elle, ce n’est pas pour rien. Juste, il ne sait pas.
En fait, tous deux ne savent pas.

A ce moment, Eloi s’approche de moi. Il chuchote, souriant : « Alors, elles te plaisent, les photos ? » Je souffle un tout petit « Oui ». Je l’entends sourire : « Je savais que tu aimerais ».
Ses yeux se posent sur la photo dont je n’arrive pas à détacher mon regard. Il la regarde. Un moment. Il sourit. Il doit penser à son propre aveu, celui qu’il m’a fait il y a quelques mois. Peut-être. Je ne sais pas.

Je réussis enfin à détourner mes yeux, ma tête se tourne brusquement. Je me sens autre. Vide. Ailleurs. Et si pleine de ce que je peux dire.
Il me tend la main : « On y va ? »
Et nous remontons au rez-de-chaussée, regardons encore quelques clichés, et sortons.

J’aurais pu y rester jusqu’à la fin de la soirée. De la semaine. De toujours.


En sortant, il sort son appareil photo numérique. Il me sourit. « Tu sais que je n’ai même pas de photo de toi ? Même avec toutes les fêtes ? A chaque fois, tu n’es jamais sur le cliché, ou alors en tout petit, ou juste à moitié ! Tu fuis mon objectif ? » dit-il en riant. Non, Eloi, puisque mon objectif, c’est toi.

Doucement, il me fait asseoir sur un banc dans la rue, et puis s’éloigne un peu. Il prend une, deux photos, de moi seule, puis de nous deux, assis l’un à côté de l’autre, à bout de bras, ‘pas beaucoup, parce que trop, ça abîme les souvenirs.’ Il ajoute : « Et je veux garder mes souvenirs des instants vécus intacts. » Il me regarde. Qu’il est beau et sérieux, en disant cela. Cette douceur qui émane de lui…
Soudain, il dit : « Oh, et puis en fait, on va s’marrer un peu. »
Alors, on s’amuse avec l’appareil, on grimace, on fait de drôles de figures, on regarde en l’air, on imite la mue du crabe, exercice très difficile, on tente de ressembler à des sages bouddhistes, on rit.

A la fin de cette scéance délirante, il range son appareil.
Il me regarde, et puis me dit : « T’es quand même mieux quand tu ne ressembles pas à un crabe en train de muer. » J’éclate de rire. « Et toi, tu es mieux que lorsque tu imites un sage bouddhiste. » « Bon, alors je crois qu’on est de piètres imitateurs ! Il ajoute alors avec emphase, en agitant les bras dans tous les sens, comme s’il était un acteur pompeux : Mais après tout on s’en fout, on est jeunes, intelligents, euh beaux et riches, et l’Oréal je le vaux bien. » On rit encore.
J’ai envie de le serrer dans mes bras. Je n’ose pas. Depuis que je me suis avouée ce que je ressentais (oh, que j’ai du mal en écrivant le simple mot ‘ressentir’), je n’y arrive plus.

Alors, lorsqu’il me prend contre lui, et met son bras sur mes épaules, dans un geste chaleureux, je frémis. J’enfouis ma tête dans sa veste, et je dis : « Merci pour cette journée, Eloi. » « Mais de rien, Viva, c’était pour toi. » Je lève la tête vers lui, mes yeux qui tirent vers le haut, j’aime me sentir petite ; il me sourit, tout grand. Je me sens bien, soudain. En confiance. En sécurité.
C’est… mon Eloi, oui.


Dans le métro, avant de nous quitter, il me promet de m’envoyer les photos par mail.
Il descend à sa station, et les portes vitrées se referment dans un bruit mat. Je le vois qui me sourit derrière la vitre, ses cheveux bordéliques, son visage et son sourire, et j’ai une petite fissure de plus qui naît à l’intérieur de moi. Gaie-triste, je suis. Oui.

Envie de rentrer vite chez moi, de me pelotonner sur le canapé, et de lire du Mallarmé. Et en même temps, envie de fuir la maison, la famille, et de courir dans les rues de Paris.

Lorsque j’arrive, ma mère n’est pas là. Un petit mot sur la table du salon : « Ma chérie, passe une bonne soirée ; comme prévu, je vais à mon colloque. Je rentre tard, ne m’attends pas. Ta mère qui t’aime. » J’avais oublié.
L’appartement est à moi, l’espace d’une soirée. Petit vent de solitude libre.

M’affale sur mon lit.
Puis, mes mails.

Eloi a déjà envoyé le sien.
Deux photos.

Sur la première, on me voit. Assise sur mon banc, le sourire aux lèvres. Les enseignes lumineuses autour de moi répandent une douce lumière, qui donne un éclairage particulier à la photo, un peu floue, tamisée.
Sur la deuxième, nous deux. Nos visages à côté. Je regarde vers le haut, avec un petit air mutin, je suis en train de rire. Et lui, il me regarde en rigolant aussi, le sourire illumine son visage. On sent cette jolie complicité qui nous lie, si simple et belle.
Ce petit quelque chose qui me tord le cœur en la regardant.

Il a écrit :
‘Voilà pour toi ma Viva. Deux photos, seulement, parce que ce sont les plus belles de la série, et que comme j’ai dit, trop de photo, ça étouffe l’instant vécu. La première, parce que d’abord, c’est toi, et ensuite, pour la lumière. Parce qu’elle m’a fait penser à la lumière du petit musée de tout à l’heure, dans le Marais, tu te rappelles ? La deuxième, parce que tu as un joli petit air qui me fait sourire rien qu’en la regardant.  Et puis on a l’air de bien rire dessus, alors, ça me fait tout plaisir. Deux petites photos, pour bien imprimer le souvenir de cet journée drôlement chouette.

Merci ma Viva,
je t’embrasse,

Eloi.’

Et mon cœur se serre tout doucement.

 

Ecrit par Viva, le Mardi 31 Mai 2005, 18:22 dans la rubrique Actualités.

Commentaires :

Feu
Feu
31-05-05 à 20:29

Oh, que je sais à quel point c'est douloureux, de se sentir scindée en deux... Séparée entre deux extrêmes, qui attirent tous deux à la fois. C'était un peu ça, avec Raphaël et Chuck. Mais en bien moindre, bien entendu, puisque je n'aimais ni l'un ni l'autre (ourgh, ça me paraît bien cru, dit comme ça)

Je n'ai pas de conseil à te donner, pas de remontrance à t'administrer, pas de jugement à émettre... Juste dire que je comprends. Que je lis avec toujours autant de plaisir. Et qu'à ma manière, j'admire un peu des bouts de vie. Parce qu'ils sont si beaux. Même si douloureux, parfois, même si pas faciles à vivre.

En fait, va là où ton coeur te porte. Même si ce n'est pas évident à vivre, à gérer.
Oh et puis non, j'avais pas de conseil... ;)

 
Viva
Viva
06-06-05 à 17:45

Re:

Merci Feu. Si ces "bouts de vie" paraissent beaux, c'est peut-être parce qu'ils sont fort, et que j'ai la chance d'être entourée d'êtres tout aussi beaux, à leur image. Mes mots m'aident sans doute en cela, même si ce n'est pas toujours facile à vivre, et aisé à concevoir et dire...

J'aime bien cette expression, "va là où ton coeur te porte".
:) ...

 
Lunatic
Lunatic
06-06-05 à 11:12

encore un magnifique article... et des dilemmes encore et encore... des choses de la vie de tous les jours mais qui, par tes mots, reflètent un terrible mal-être... c'est magnifique [je me répète je sais]...
bonne continuation, je passe toujours par ici

il est vrai que je n'ai en rien tenté de te donner quelconques conseils car je n'en trouve pas et que, je pense, la réponse tu l'as au fond de twa...


 
Viva
Viva
06-06-05 à 17:47

Re:

:) Merci, Lunatic.
Mal-être, peut-être est-ce un grand mot... Disons que je suis en effet scindée en deux, mais je parviens tout de même à avoir ces moments de bonheur, à les vivres. Ce n'est pas évident, mais je tente d'y parvenir...

Au plaisir de te revoir ici!

 
C-C
C-C
25-06-05 à 19:01

"Lorsque j’arrive, ma mère n’est pas là. Un petit mot sur la table du salon : « Ma chérie, passe une bonne soirée ; comme prévu, je vais à mon colloque. Je rentre tard, ne m’attends pas. Ta mère qui t’aime. » J’avais oublié.
L’appartement est à moi, l’espace d’une soirée. Petit vent de solitude libre."

Et le 8 octobre tu écrivais

"Quand soudain, on sonne à la porte de mon petit appart. Mais qui cela peut-il bien être?
Tranquille (ouais, pas la force tranquille, hein), j'ouvre sereinement la porte, et me trouve nez-à-nez avec... mon ex. David."

Encore une anomalie qu'on aurait pu déceler si on avait lu tout ça d'un trait...Une Viva qui vit avec ses parents ou une Viva qui vit dans SON petit appart...

Ah la la décidément quand on cherche on trouve des anomalies ! LOL :-)