Je frissonne encore...
Hier midi. Les quais de la Seine. Rendez-vous avec Hugo, Eloi, Natacha, Pierre, Sandra, Esther, et quelques autres. Une douzaine, à se ballader, à rire, à chanter des chansons idiotes, à faire exprès de zigzaguer pour effrayer les mouettes...
Les sourires cachés dans les écharpes, les fous rires esquissés, on plonge un peu le nez dans le col relevé, puis on sent l'air glacé qui s'engouffre dans les manches du manteau...
Alors, on va tous au café, pour refaire le monde... Natacha qui nous parle russe, Pierre qui se retient de fumer "parce qu'au café, quand même hein, euh, une clope... ça le fait pas trop, je crois." Hein? Drôle d'excuse.
Le serveur apporte une fournée de cappucinos, de grands crème, de chocolats liégeois débordant de chantilly, et puis... un "Noisette", pour Pierre, qui décidément se la joue soft aujourd'hui : "Eh oui, aujourd'hui, c'est softday! No clope, no caféine, no alcool!" Re-hum.
Et on lui demande pourquoi en riant... Il hésite un peu, se marre, on insiste, et puis il crache le morceau : "Ben, c'est pour ma copine... Elle aime pas trop que je fume... Et puis la clope, ça donne pas très bonne haleine..."
Alors tout le monde rigole encore plus fort, parce Pierre sans une cigarette, c'est comme un Noël sans sapin, comme un éclair sans chocolat, comme... Chacun y va de sa métaphore. Et lui, un peu penaud d'abord, se met à se marrer à son tour ; quelqu'un lui lance un paquet de cigarettes, il l'attrappe, hésite un peu, puis s'allume sa clope, tire une bouffée, et pousse un soupir de soulagement...
"Aaah, quand même, ça fait du bien..."
Et tout le monde se soupirer d'aise avec lui.
J'aime ces ambiances chaleureuses, ambiances café. Où chacun est heureux d'être là, tout simplent, dans une joyeuse pagaille de tasses, de verres, de cendriers, de rires et de regards...
Et après ça, c'est reparti pour les quais.
Certains s'asseyent sur le bord, les pieds ballants au-dessus de l'eau, d'autres sur un banc, tous le monde bavarde, puis on reprend la marche.
Et moi, je traîne un peu derrière avec Hugo, on parle, beaucoup, on se regarde, beaucoup, on se sourit, beaucoup. Notre pas ralentit de plus en plus, au point de les distancer de 20 mètres.
Le fil de la conversation devient de plus en plus mince, quelque chose de plus fort la remplace peu à peu... Comme une présence intense, quelque chose qui nous murmure à l'oreille les mots du désir, les mots que l'on n'ose se dire...
Je balbutie, je trébuche sur les mots, mes phrases se disloquent et je ne sais plus où vont mes paroles.
Lui hésite, points du suspensions qui ponctuent chacun de ses mots, trois mots, puis deux, puis un.
Silence entre nous deux. Silence complice, où tout se tait tout autour. Les autres sont loin devant.
Ses mains fourrées dans ses poches, quelques mèches brunes devant ses yeux, ses cheveux noirs dans un joyeux désordre sur sa tête. Ses yeux vissés au sol. Son pas souple, son jean tout usé et ses sourcils... Je vois tout, tout lui, il est juste à côté de moi et c'est presque trop fort.
J'ai l'impression de brûler toute entière. Il est là, juste là, nos coudes se frôlent à travers nos manteaux, notre pas au même rythme ou presque.
Et puis, le silence de fait de plus en plus intense, j'ai comme l'impression qu'une force tire mes yeux vers lui, que quelque hurle en même temps hurle en moi à la fois : "Ne te retourne pas" et "Regarde-le, regarde-le!". J'ai la sensation, un court instant, que je vais devenir folle.
Mon coeur bat, de plus en vite, de plus en fort, j'ai comme un courant électrique qui me parcours les bras, comme une immense pulsation dans tout mon thorax,
je suis un battement géant, une force qui va, un hurlement intérieur de plaisir et de peur, j'ai peur, j'ai peur, j'ai envie, je crève d'envie de le frôler, de le toucher ; J'ai envie de le caresser, de le pétrir, de le serrer contre moi à l'étouffer, envie de l'effleurer, de le toucher, le toucher, lui, Hugo.
Et puis soudain, alors que je frémis de plus en plus, quelque chose comme une immense poussée contre moi, me fait me tourner vers lui, presque violemment
Il me voit, se tourne vers moi, je le sens aussi complètement à fleur de peau, il a des yeux incroyables en cet instant, l'expression de son visage est indesriptible, un mélange d'angoisse, de terreur, d'envie irrépressible, de désir charnel, de je ne sais quoi, je ne sais plus rien à ce moment.
Et puis il me touche, il tremble, je tremble, et il enfouit soudain son visage dans ma cou, ses lèvres parcourent ma peau, j'ai l'impression que je vais mourir.
J'ouvre la bouche, je sens la sienne qui remonte le long de mon visage, et puis, là, là, ses lèvres trouvent les miennent, elles s'effleurent, se frôlent, c'est trop puissant, trop intense pour être vrai, pour être soutenu, j'ai l'impression d'être un rassemblement de fibrilles se sensations,
C'est ça, je suis une prise à cent mille Volts
Nos lèvres se touchent à peine, la buée s'échappe de nos bouches dans l'air froid,
et puis soudain,
On entend :
"Ben alors, qu'est-ce qu'ils foutent??"
Je m'arrache brusquement au contact d'Hugo, je recule de quelques pas, il tourne la tête vers la voix.
C'est Vincent qui nous appelle, nous nous sommes éloignés l'un de l'autre, Hugo et moi, suffisamment tôt pour le voir se retourner vers nous, puis redire : "Alors, qu'est-ce que vous faites? Vous nous rejoignez?..."
Et nous nous redirigeons vers eux.
J'ai la tête qui tourne, les pas hésitants, j'ai l'impression d'avoir bu toute l'absinthe la plus forte du monde, je ne sais pas bien où je vais.
Je lance un rapide coup d'oeil sur Hugo ; il a les yeux dans le vide, la respiration haletante, et je vois sa pomme d'adam qui tremble, dans le creux de son écharpe.
J'ai l'impression de que je vais tomber. Tomber de quoi, je ne sais même pas. De bonheur, de frustration de ce baiser inachevé, et en même temps de bonheur que justement, il se soit arrêté au moment le plus intense, comme un coureur sur lequel on a tiré au plus fort de sa course, quelques mètres avant l'arrivée, alors qu'il est talonné par le numéro deux.
Je n'arrive même pas à sourire béatement, mon coeur bat encore trop fort pour être normale. J'ai le sang encore dans la tête, la pulsation puissante dans les tempes, les sens exacerbés.
Et il faut le masque devant les autres, même si en croisant le regard de Natacha, je sais qu'elle a deviné. Je crois que ça me rassure un peu. Au moins un parmi les autres qui sait. Un appui. Les autres savent plus ou moins qu'il y a eu quelque chose entre Hugo et moi, mais ils ne savent pas si cela continue aujourd'hui. Natacha est la seule à l'avoir compris. Et elle vient de deviner les baiser esquissé.
Je me sens comme... peu m'importe la force de la métaphore, mais j'ai besoin de le dire, besoin de l'écrire. Comme une femme qui vient de faire l'amour, qui vient de jouir, d'avoir un orgasme, et se retrouve soudain mise dehors, en plein milieu de la foule, sans avoir eu le temps de se remettre du plaisir. Alors, elle ne sait plus ce qu'elle ressent, partagée entre le plénitude de l'instant, et l'écourtement brusque de cette fusion des corps, de cette intensité de la sensation. Comme si le plaisir qu'elle a pris l'instant précédent devenait soudain public, comme s'il se lisait sur son visage. Elle a peur, tout en étant pleine de quelque chose, d'un plaisir inconnu : inconnu puisqu'il n'y a pas eu le repos, le temps de la savourer. Brutale interruption.
Et elle doit se remettre, ses cheveux défaits après l'amour sont mon âme bouleversée après ce semi-baiser...
Je suis fébrile. Je n'arrive même pas à marcher près d'Hugo.
Natacha me prend par le bras, et la petite troupe se remet en marche, sans que personne n'ait rien vu. Sauf nous trois.
Natacha me sourit. Aucun mot entre nous, juste sa présence rassurante.
Et puis je croise le regard d'Hugo. Complètement fébrile, comme moi-même. Puis, plus serein. L'affolement s'apaise. Il me sourit. Je sens un bien-être en ce sourire.
Alors, je me sens mieux. J'accepte plus cet instant interrompu. C'est une parenthèse à tout le reste, qui reste suspendue, comme la dernière fois, comme samedi dernier.
Trois points de suspension, toujours... jusqu'à la prochaine fois.
Commentaires :
Re:
Si tout ceci semble proche à ceux qui le lisent, c'est peut-être parce qu'en moi-même, ces moments m'habitent encore, même plusieurs jours, plusieurs semaines après... :)
C'est dur de laisser des commentaires à tes post, je me sens presque comme une intruse dans une intimité que tu décris si bien...si bien...j'imagine presque autant que je ressens le vent de ce jour là, l'eau et son bruit, le ciel et le silence autour de vous, comme une protection contre tout...Tes écrits sont magnifiques.
Bizoox tout plein.
Re:
Lorsque tu dis "le ciel et le silence autour de vous, comme une protection de tout", c'est exactement ça. La sensation qu'autour, tout s'efface, et qu'il n'y a plus qu'une bulle intemporelle qui nous enveloppe tous les deux.
Bizz à toi ;)
Bises.
Re:
Merci pour tes encouragements!
En tous cas, pour faire original, en lisant ton texte j'ai vécu l'histoire...
Tu écris vraiment, vraiment bien...pas forcément dans le sens grammatical... mais, dans l'emotion et la vie qu'il dégage...
Pour en revenir à toi et au contenu du texte... c'est magnifique ce qui se passe entre vous... profites bien de ces moments de désir...et repousse les à l'extrême... c'est la période la plus belle... vis la pleinement... mais tu dois déjà savoir tout ça...
Alors je m'arrête...
Bisous :)
Re:
Je reconnais que j'écris beaucoup à l'instinct, sans toujours faire des phrases très... grammaticales. Oui, c'est ce que tu as écrit : plus d'émotion, de fond, que de réflexion sur la forme. Peut-être est-ce cela qui fait leur authenticité...
Merci de ton passage Dana! Bizz à toi! :)
Re: Re:
Tu écris TRES bien, que ce soit au sens grammatical qu'au sens emotionnel !! ...
Je ne me permettrais pas viva, voyons !!
Bisous ;o)
Lorsque tu dis...
BON SANG!!! Mais c'est que tu décris ça comme...comme...J'sais pas quoi!!! Mais c'est terrible !
Tu me tiens en haleine...Je ressens un véritable "DESIR" de savoir la suite
J'éspère que tu comprends ce que j'ecris...je veux que tu sache que j'adore vraiment!!!
Vàlà vàlà, Pffff suis encore toute retournée!
P'tite coquine va ;)
Re: Lorsque tu dis...
Bizzz à toi!
Feu
Ici, j'en profite, puisque personne pour le moment n'a encore apposé son petit mot.
Ce baiser volé, je l'ai vécu à travers toi... Cette attente, ces frémissements, tout ce que tu décris. Tout cela semble si proche...
Merci pour ces instants que tu offres si bien.
:)