Toute la semaine, se nourrir de son image.
Lundi, TD de littérature latine. 15h.
Temps un peu brumeux, avec un peu de soleil qui perce les nuages, quelque part.
Assise au dernier rang, je griffonne sur mes feuilles ce que tente de nous faire parvenir la prof depuis son bureau, loin, loin devant moi... Contenu du cours intéressant, même très intéressant, mais prof totalement endormante. D'une voix monocorde, elle marmonne quelques racines latines, nous lance des étymologies, et parfois, met une infime accentuation sur un mot-clé du texte. (clé... qui visiblement n’ouvre sur pas grand-chose).
Je regarde par la fenêtre, assise entre Natacha et Pierre. Ce dernier a déjà décroché ; sur une feuille de cours où les notes voisinent avec les graffitis en tout genre, il croque en quelques traits de crayon des élèves, plus ou moins affalés ou droits sur leurs chaises. Ce type a un don pour le dessin. Ce n'est pas Lettres qu'il aurait dû faire, mais les Beaux-Arts... Quoique, lorsqu'il nous fait une analyse sensible et fine d'un poème de Mallarmé, c'est toute ma perception de la poésie qui en est transfigurée... Des recoins qui s'éclaircissent. Des portes qui s'ouvrent.
Tous les deux, nous aimons bien passer une, deux heures à la bibliothèque, à nous exalter sur les sens cachés de
J'aime mes amis pour ça. Ils sont de savants alliages de la déconnade et de
Je pars encore très loin...
Oui, le TD. Pierre dessine, Natacha suit d'une oreille la litanie de la prof ; elle lit l'exemplaire du cours de l'année tapé à l'ordinateur, que j'ai eu par un élève de 2e année avec lequel j'ai sympathisé. C'est ça, la fac, c'est savoir se filer les bons tuyaux...
Et moi, je regarde par la fenêtre, mon regard perdu dans le vide, sur la rue, les passants les toits avoisinants. Je balaye du regard tout ça, mes yeux s'arrêtent sur une fenêtre éclairée. Lumière chaude qui s'en échappe.
Arrêtés sur la fenêtre, mes yeux n'ont pas tout de suite vu.
Par le reflet de la vitre, Hugo me regarde. Je sens soudain mon coeur s'emballer, ma respiration plus rapide. Pas tout à fait comme si le monde tournait plus vite autour de moi, mais un peu, si, juste un peu. C’est déjà ça. Ses yeux dans les miens. Je me vois, je le vois, un rang devant moi, à ma droite, ses yeux sombres, ses cheveux. On se regarde. Doucement. Et il me sourit. Et je lui souris. Regards échangés sur la transparence de la vitre... dehors, le ciel gris. Et ses yeux qui se superposent à la lumière de l’appartement que j’observais...
Je détourne les yeux, le sourire toujours accroché à mes lèvres.
Pierre se penche vers moi, avec un air à la fois amusé, et gentiment sérieux : "Regarde." Il a eu le temps de nous dessiner tous les deux, moi, au premier plan, la tête tournée vers la fenêtre, et lui, Hugo, derrière (enfin, devant nous, dans la réalité), plus petit, les yeux aussi vers la vitre.
Je ris... Je regarde Pierre, nos regards complices, ça fait du bien d'avoir un ami comme ça... Il a compris, il a très bien compris ce qu'il y avait entre Hugo et moi, sans un mot, sans rien... Et discret, il est là, il comprend, instinctif. J'aime cette communion où chacun comprend sans rien dire l'autre, juste parce qu'il commence à bien le connaître. On s'apprend l'un l'autre mutuellement. Depuis quelque temps, entre les cours, les cafés, les déjeuners et les fêtes, on se rapproche vraiment.
Je lui souris, je me sens bien, je suis heureuse qu'il ait vu.
Il me donne un petit coup d'épaule contre moi, je rigole encore, lui aussi, je pose un peu la tête sur son épaule, c'est mon ami. Pierre.
Mercredi, Amphi de Littérature Comparée, 9h.
La foule des élèves entre dans le Grand Amphi, nous sommes au moins 500, à se presser un peu les uns contre les autres, dans un grand brouhaha, rires et conversations mêlées.
Je sens les corps des autres qui me bousculent un peu, j’en heurte un peu d’autres, je discute vivement avec Eloi de n’importe quoi, une jolie discussion décousue, qui part un peu dans tous les sens comme d’habitude, j’aime ça... Un peu l’ivresse de toute cette masse humaine, et nous deux perdus au sein du fleuve grouillant, « on avance avec le troupeau », comme il le dit lui-même...
Et dans le sass, entre deux battants de porte, je sens un souffle dans ma nuque, un peu volontaire. Je me retourne vivement, et me trouve face à Hugo. « Salut, Viva » Il me sourit, avec son petit sourire mutin et un peu désabusé qu’il aime à prendre parfois, et me tend la joue, sur laquelle je l’embrasse... Je le regarde, je me dis que pour une fois, je vais essayer de soutenir vraiment son regard plus de cinq secondes d’affilées, exprès, parce que j’en ai envie, terriblement envie, sans fuir et rougir. Je plante mes yeux dans les siens et lui souris.
Une fois de plus, nos yeux accrochés l’un à l’autre.
Et puis, la foule nous emporte, je suis obligée d’avancer, un autre courant d’élèves l’emporte ailleurs dans l’amphi, il y a à présent une cinquantaine d’élèves entre nous. Un dernier sourire par-dessus quelques têtes.
Deux battements de cœur entre deux battements de porte.
Mercredi toujours, 11h, à
C’est la pose entre trois heures de Lettres ; je discute avec Eloi et Pierre, un café à
Je sais que tous deux sont beaux. Je l’ai remarqué, non seulement moi-même, mais aussi dans le regard des autres filles. On m’a déjà demandé de présenter Pierre...
Pierre, ses quelques dreads tenues par un morceau de chech ocre ramené du Maroc... Ses bracelets brésiliens, son collier en perles de bois, son allure de « cool man », comme il le dit lui-même. Souvent la clope au bec. Les yeux bleu sombre, assez curieux et beaux, avec une sorte d’éclaircissement un peu jaune vers le centre. Il adore m’entendre dire qu’il a « des yeux de fous » : « Hey, Viva, n’est-ce pas que j’ai des yeux de fous ? Ca n’est pas le shit qui fait ça, non, non non... » Et puis, Pierre, c’est aussi souvent un bouquin dans
Alors, lorsque j’entends une fille me dire : « Pierre, il est vraiment canon... Mais je sais pas s’il est très intelligent... », je m’empresse de
Eloi. Je le découvre depuis moins de temps que Pierre, mais j’accroche bien. Ses cheveux roux, dans une pétarade naturelle sur sa tête, avec son jean usé... Ce côté un peu « d’ailleurs », parfois dans
Eloi, c’est la surprise de l’innatendu.
Et je discute avec eux deux. Je me sens bien, entre Pierre et Eloi, grands, à l’aise, décontractés et complices.
Hugo arrive et nous rejoint. Ses yeux glissent d’un air amusé de moi à Eloi, de moi à Pierre, de Pierre à Eloi. Hugo est assez pote avec Eloi. Il découvre aussi Pierre, je suis agréablement surprise de voir qu’ils s’entendent encore mieux que je ne l’avais pensé.
Les regards des filles derrières nous redoublent, elles gloussent un peu, vraiment de moins en moins discrète, à hurler de rire.
Pierre murmure en se marrant : « L’archétype de
Et Hugo me regarde.
Que d’amours splendides j’ai rêvés...
Et puis vendredi, à la sortie des cours...
Natacha, Pierre, Eloi, Hugo, Sandra, Sophie, Ben et moi, devant l’entrée du métro. Je ne sais plus pourquoi, nous parlons des baisers de cinéma. Autant en emporte le vent remporte tous les suffrages ! « Mais tous les baisers sont beaux », lance Sandra. Et tout le monde d’y aller de sa propre interprétation sur l’essence d’un baiser...
Pierre fait une fausse déclaration à Natacha qui manque de s’étouffer tellement elle rit, il lui jure : « Une glue éternelle pour la longue carcasse à tenir de nos petits marteaux schtroumpfés par nos soins », c’est du n’importe quoi artistiquement déclamé par notre Shakespeare du délire surréaliste...
Alors,
Ben lance le premier « Je t’aime pour l’éternité », en se tournant vers Pierre avec de grands moulinets de bras et un ton emphasé, Pierre dit : "Allez! Tout le monde à son voisin!", lui-même repasse le message à Sandra, qui le dit à Hugo, qui le dit à Sophie... Je remarque qu’il baisse les yeux en le lui disant, à
Et tout ça finit dans un grand éclat de rire...
« Qu’est-ce qu’on est bêtes, quand même... ! » Sophie rigole. Tous le sourire au lèvres, Eloi rêve : « Ah, si on pouvait me le dire avec tous les sentiments du monde, je serais partant ! » Il se fait gentiment charrier, surnommé sur l’instant de « fleur bleue » par les soins attentionnés de Pierre.
Ce sont les petits moments comme ça qui font la vie...
Commentaires :
Re: Ce sont les petits moments comme ça qui font la vie...
Si mon écriture parvient à mettre à l'aise ceux qui la lisent, et si elle permet à ce point d'exprimer ce que je ressens, alors tant mieux... :) Merci beaucoup pour ce petit mot pêchu qui m'a drôlement fait sourire!
Oui, peut-être nous sommes nous croisées un jour, au détour d'une rue, peut-être près du Louvre, du Pont des Arts, de la Tour Eiffel, ou encore à Odéon, Bastille, l'Ile de la Cité?...
Mais cette sensibilité peut me jouer des tours, alors, pour le moment, je savoure le "beau fixe"...
Bizz à toi! :)
je reviens! de nouveau sur ton joueb que j'apprécie énormément parce qu'il conte une vie avec ses bons et mauvais côtés, contée avec des mots simples, frais...
c'est tout simplement magnifique...
Re:
Ca m'a fait drôlement plaisir!
:))
neowitch
Ce sont les petits moments comme ça qui font la vie...
Alors je te lis et surtout je rêvasse...Parfois je me dit qu'on s'est peut-être croisées sans le savoir dans Paris!!!
Pleins de smoutch, continue, prends soin de toi...