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Ouvre-moi ta porte

Hier, il a plu. Encore. Devant la fenêtre, enfouie dans mon grand pull en laine d'angora, bleu-gris, que j'aime pour ces jours-là, ces jours de pluie. Les gouttes qui glissent le long des carreaux. Au-delà des toits gris clair, des chiens assis, des cheminées, il y a tout là-bas le ciel, sombre. Malgré tout, une lumière douce et diffuse, comme lointaine, à travers un verre opaque.

Ma tasse de thé fume entre mes mains, le pull remonté jusqu'aux doigts. Le col roulé sous le visage.
Mon vieux Levis 501, usé, mis et remis. Assise dans l'alcôve devant la fenêtre de ma chambre, les pieds nus sur le radiateur du mur.

L'appartement est vide, il n'y a personne. Ma mère est absente pour la semaine ; elle a un colloque.
Je savoure le plaisir de ne 'rien' faire, cet espace vide et plein à la fois autour de moi. Juste rester comme cela, contemplant silencieusement l'horizon, derrière les carreaux. Il fait bon à l'intérieur ; dehors, l'eau qui coule à torrents.

J'écoute les Sonates pour Violoncelle de Bach, si belles, si simplement magnifiques. Chaque fois que j'entends la musique de Bach, c'est le même émerveillement, la même tristesse pleine de joie, à l'écoute de ces notes qui deviennent évidence, des timbres des instruments mêlés à la perfection, pour atteindre une musique absolue, si belle.

Mélancolie douce.
Je pense à tous les visages que j'ai croisés. Tous les prénoms qui ont habité ma vie, mes années. Les garçons, particulièrement.

Je pense à Benoît, mon premier amoureux en primaire, ses cheveux blonds et son imper rouge.
Je pense à Carlo, un petit italien nouveau en CM2, fou amoureux de moi, qui m'invitait chez lui déjeuner, et avec lequel je croquais à belles dents des tomates et de la mozarella. 
A Luc
, dont j'étais folle en 6e mais qui ne m'a jamais jeté un regard. Camille, qui détestait son prénom, -selon lui, seulement pour les filles-, que j'avais rencontré dans une colo, et que j'avais embrassé à la boum finale -mon premier baiser, en 5e-. Nicolas, en 4e, un des garçons les plus populaires de l'école ; toutes les filles étaient jalouses, ça n'a duré que trois semaines, mais ça a été mon heure de gloire.
Viennent les visages de Raphaël, mon premier amour, mon vrai premier amour, en 3e, avec lequel je suis restée cinq mois. C'était beaucoup, à l'époque. Une série de flirts en tout genre, après notre rupture, qui n'ont jamais dépassé le cap des deux mois, parce que je pensais toujours à lui : William, Xavier, Martin, Elias... Au milieu de ceux-là, le refus que j'ai essuyé de Lukas, un correspondant allemand, durant notre voyage en Allemagne en seconde. Je me suis rabattue sur Elias, son meilleur ami. J'étais assez sans scrupules, à cette époque.

Fin en première, ma rencontre avec David. Notre rencontre progressive, cette attirance si belle... Je ne veux pas revenir sur ces instants.
Et puis Hugo. Mon Hugo.

Je pense à tous ces gens, que je ne reverrai sans doute pas pour la plupart d'entre eux. C'est étrange, mais j'ai si peur de "perdre" tous ces souvenirs, tous ces moments. J'ai peur de ne plus les retenir, de ne plus les garder en moi.
J'aime penser à eux, à ces présences qui m'ont côtoyées, cette forme d'amour, de tendresse qui rend heureux et nostalgique en y repensant.


Le violoncelle fait fibrer ses cordes, développant la richesse sonore de sa mélodie. C'est fou ce que cet instrument me touche, profondément.

Je ferme les yeux.


Dans le silence de l'appartement créé par la musique, un coup de sonnette.
Je mets quelques instants à réaliser, puis pose ma tasse à moitié pleine. Ou à moitié vide, c'est selon. Mes jambes qui se déplient, et mes pieds se posent sur la moquette un peu râpée. Le couloir, le parquet du salon, l'entrée, la porte.

Je m'étire un instant avant d'ouvrir la porte.
Boucles sombres et peau cuivrée, je le reconnais tout de suite sans avoir vraiment perçu son visage dans la pénombre du palier.

C'est Matteo.

"- Bonjour, Viva.
- ...
- Je suis venu. Je passais par là, je savais que je habitais ici. Tu te souviens, tu me l'avais dit."

Deux courtes secondes de silence, puis je reprends mes esprits, et lui ouvre la porte pour le laisser passer.
Il entre.

Silence un peu gêné, presque. Il regarde autour de lui, doucement. Toujours cette douceur dans son regard. Nos pas, jusqu’au salon, à un mètre.

Et puis, il parle.
- Je suis venu. Parce que… parce que j’avais envie de te revoir. Juste te revoir. Un moment. Pas pour ce que tu crois, ce que tu crains peut-être, je ne

sais pas.

J’entends sa voix qui s’élève entre les quatre murs de la pièce, qui frôle les vitres et vient se glisser près de mon oreille. Matteo est là, chez moi, et je ne réalise pas.
Enfin, je me décide à dire quelque chose. Il faut que je parle.
- Tu vas bien ?
Qu’est-ce que j’ai dit ? J’ouvre la bouche pour en sortir du néant absurde, cela ne veut rien dire, mes derniers mots sont aberrants. Je ne sais pas ce que je dis, je ne sais pas.

Lui aussi paraît un peu surpris par ma question. Il me regarde, esquisse un timide sourire.
- Oui, je vais bien.
Il marque un temps.
- J’avais juste envie de te voir ton visage une nouvelle fois. Pour… l’imprimer. Me souvenir.

Je ne sais que répondre. Je suis partagée entre la peur de le revoir ici, de voir matérialisé au grand jour cette nuit qui fut comme un rêve, entre l’envie d’être cassante pour me défendre et tirer un trait définitif dessus, envie stupide, j’en ai conscience, et le désir de m’asseoir avec lui, de le regarder, de parler un peu, et de poser ma tête sur son épaule.

Alors, comme s’il avait lu dans mes pensées, il va se dirige vers le canapé :
- Je peux ?
- Oui.
Il s’assied.
- Viens.
J’hésite un instant, puis vais m’agenouiller à côté de lui, les jambes repliées sous moi.

Il me regarde doucement.
Sa main se lève, et il remet une mèche derrière mon oreille.

- Je ne veux pas continuer notre nuit de l’autre soir. Je ne suis pas venu pour ton corps, pour tes gestes. Je voulais juste avoir ta présence à mes côtés, un instant, je voulais juste t’apprendre une minute, pour me souvenir.

J’écoute ses mots, et souris. Je le regarde. Il est beau. Tant de douceur dans son regard. Cette simplicité… La présence apaisante, et rassurante.
Alors, je me laisse porter par mon envie, et je pose ma tête sur son épaule. Je baisse les yeux, et vois son bras qui frémit. Il porte sa main à ma tête, et ma caresse doucement les cheveux.

Il chuchote :
- J’ai envie de fermer les yeux, et de laisse le temps passer.
Le coin de mes lèvres s’étire tout doucement. Agréable sensation d’apaisement, d’évidence, sans le désir brut, sans la séduction. Juste une simplicité, belle.
Je murmure :
- Moi aussi.

Alors, il passe son bras autour de ma taille, et me rapproche tout doucement de lui. Sans ambiguïté. Juste pour la tendresse du moment. Je ferme les yeux, et le temps s’écoule lentement autour de nous.

Plusieurs minutes passent ainsi, tous deux enlacés… comment dire ? Chastement, sur le sofa un peu usé.

Et puis, au bout d’un moment, il relève doucement sa tête, posée sur la mienne. A mi-voix, il me dit :
- Viva ?
- Oui ?
- Je dois partir. Sinon, je le sais, je ne pourrai plus m’en aller.
Je sens ses bras qui quittent ma taille, son corps qui se déroule pour se lever, son buste qui s’étire et ses jambes qui s’étendent.
Il est debout.

Je le raccompagne jusqu’à la porte.

Dans l’embrasure, il se retourne et me regarde. Si tendrement.
Je murmure :
- Alors, tu pars ?...
Un sourire un peu mutin se dessine sur son visage.
- Tu as peur de me regretter ?
Je souris à mon tour, et ris doucement.
- Non…
Mon rire est contagieux, et nous voilà tous les deux à rire l’un devant l’autre, la complicité dans nos yeux.

 

Nos voix s’apaisent peu à peu, et le silence revient. Mais pas le même silence que tout à l’heure. C’est à présent un silence plein, pour deux. Un silence de compréhension, un silence qui dit tout. Un silence de l’évidence. J’aime ce mot, en ce moment, évidence.

Je sens qu’il est temps que notre moment s’achève, il n’appartient pas à ces instants qui peuvent durer éternellement, sans pouvoir s’effilocher. Il faut apprendre à saisir ces moments, et à leur offrir une fin, douce mais nette.

Il en prend lui-même l’initiative, et se penche doucement vers moi. Ses lèvres viennent à la rencontre de ma joue, et y déposent un baiser, un vrai, léger et si agréable.

 

- Au revoir, Viva.
Encore une fois, je lui souris.
J’embrasse ma main, et du bout des doigts, lui caresse la joue. Il rit, et prend ma main dans la sienne, la laissant sur sa joue quelques instants.
- J’ai été vraiment très heureux de t’avoir rencontrée.
Je murmure un ‘merci’, nous nous regardons encore un court moment, et il s’éloigne sur le palier.

Je le regarde descendre les premières marches de l’escalier, ses pas font un bruit feutré sur le tapis qui recouvre les marches.
Je ne peux m’empêcher de dire :
- Matteo
- Oui Viva ?
- A bientôt peut-être.
Il me sourit, et sa silhouette disparaît complètement dans la pénombre de la cage d’escalier. J’avais comme envie de laisser suspendu la possibilité de se revoir, un jour. Pas de ‘plus jamais’. Un ‘peut-être, qui sait’.
J’entends encore ses pas quelque temps, puis la porte de l’entrée, quatre étages en-dessous.
Il est parti.


Alors, je rentre chez moi, et referme la porte d’entrée.
L’épisode Matteo est sans doute fini. Peut-être. Ce fut… comment dit-on, déjà ? Bref, mais intense. Je souris un peu en moi-même en pensant à cette phrase.
C’est comme une porte que l’on referme avec une petite nostalgie, une lenteur sereine et un peu triste. Mais belle.

Toujours la beauté, fulgurante. Toujours.
Ecrit par Viva, le Dimanche 17 Avril 2005, 13:45 dans la rubrique Actualités.

Commentaires :

emberlificoteuse
emberlificoteuse
17-04-05 à 18:38

Tu sais...

Tu sais, des fois je croise presque que tu inventes, que tu imagines, que tu rêves, que tu fabules... Tout s'enchaîne comme dans un rêve. Savoure Viva, savoure...

 
Viva
Viva
25-04-05 à 14:10

Re: Tu sais...

J'ai parfois aussi la sensation de vivre un rêve éveillé. Mais si tout ceci paraît fabulations, sans doute est-ce parce que je ne raconte ici que les moments forts de ma vie, je parle peu du quotidien qui m'effleure tout juste. Alors, oui, je savoure, comme tu le dis joliment...

 
titi-life
titi-life
17-04-05 à 20:35

C'est beau tellement beau, mais avec Mattéo aucun baiser tendre d'aurevoir ?

Il doit vraiment être un gentleman pour venir te voir, juste pour pouvoir ensuite se souvenir de toi, c'est beau, tellement beau.


 
Viva
Viva
25-04-05 à 14:11

Re:

Exactement, tu as trouvé le mot, 'gentleman'. Matteo a eu une attitude magnifique.
Non, pas de baiser, puisque nous ne voulions pas continuer cette nuit passée. Juste savourer la présence de l'autre. Pour mettre un point final. C'était beau, mais tout a une fin...
Merci pour tes mots... :)

 
Krystal
Krystal
19-04-05 à 16:13

J'ai des paillettes plein les yeux et un sourire sur les lèvres... waw... c'est beau... ;)

 
Viva
Viva
25-04-05 à 14:12

Re:

J'aime bien l'expression "paillettes plein les yeux"... :)

 
Larissa
Larissa
19-04-05 à 19:44

Je lis depuis le début sans jamais laisser aucune trace de ma présence. J'aime toujours autant. Très belle manière d'écrire. Vraiment très beau.

Gros bisous !


 
Viva
Viva
25-04-05 à 14:13

Re:

Merci beaucoup Larissa, ça me touche vraiment! J'aime bien découvrir des petits signes de lecteurs/lectrices muet(te)s jusqu'ici...
Bizz à toi!